Le bon sens paysan


 

Élaborer un produit agricole de façon naturelle demande un grand soin de la part du paysan : en travaillant « sans filet », on obtient un produit qui nourrit l’esprit et le corps, suscite l’émotion et reste digeste. Plus fragile, le raisin ainsi cultivé exige des conditions de stockage de qualité (cave à moins de 14°C, humide, sans variations de température, ni vibration ou champ électromagnétique).
Être paysan au 21ème siècle demande une grande rigueur et une large connaissance, afin d’apporter toute l’attention nécessaire au plein épanouissement de la vigne et au bien-être des levures en cave, pour une constitution la plus complexe du jus de raisin.

Aujourd’hui, une large majorité de vignes sont cultivées par des « fabricants de raisins ». L’industrialisation de notre viticulture, (et de bien d’autres secteurs d’activité), poussée par la volonté des centrales d’achat permet de fabriquer des vins au prix peu chers, au goût standardisé, nivelé d’une année sur l’autre et étudié en fonction des « panels de consommateurs ». Cette viti-viniculture industrielle fait (sur-)vivre une grande part de notre France viticole. Elle satisfait un large marché et rend apparemment des vignerons heureux. Parfait. Mais nous avons choisi une autre voie…

Si les vins industriels ne sont jamais « mauvais » (au sens sensu stricto œnologique du terme), parfois meilleurs qu’un vin naturel qui décide de faire des siennes. Mais, selon nous, ils ne provoquent pas cette vibration, cette émotion, cette énergie propres aux vins élaborés dans le respect du vivant. C’est pourtant ce que nous cherchons à créer: des vins qui vous offrent des émotions, qui sachent accompagner les moments de vie les plus importants.
Malgré nos premières craintes, nous avons essayé et… nous avons réussi ! Nos vins, libres depuis presque 20 ans, confirment notre idée que la forêt est belle au naturel, sans que l’homme n’ait besoin de s’en mêler. Notre intervention n’est légitime qu’un cas de réel souci. Nous restons pour cela attentif toute l’année, prêts à intervenir au bon moment avec des méthodes douces, avant qu’il ne soit trop tard. Chef de file des vins naturels, Marcel Lapierre nous disait:
« nous ne dirigeons pas nos vinifications, nous accompagnons nos vins ».

Quand à l’idée que les vins naturels vieillissent mal, il faut maintenant lui tordre le coup! Le soufre, et la « pharmacopée œnologique » apparue il y a seulement 60 ans, n’a jamais contribué à conserver les premiers grands vins. Ce n’est qu’après l’apparition des engrais et pesticides que le soufre a envahi nos caves pour rectifier les déséquilibres introduits au vignoble. Comment faisaient-ils encore avant l’œnologie moderne ?
Un raisin parfaitement mûr, issu d’une vigne en harmonie avec son environnement (sol, air, cosmos), issu de petits rendements et vinifié dans une cave fraîche, saine et propre (mais pas désinfectée), saura donner un vin taillé pour l’avenir sans avoir besoin de béquille œnologique. La majorité de nos bouteilles restent, après quelques jours ouvertes, toujours aussi bonnes, voire parfois… meilleures !
Nous restons du moins vigilants et tolérants: il arrive que le millésime, la vigne, le terroir et le vigneron se soient mal compris, que des erreurs puissent être faites à un moment du cycle, préconisant une très légère intervention. Nous garantissons que l’ajout d’une dose homéopathique de soufre, un soutirage ou une légère filtration non stérile ne concernent qu’une minorité de nos cuvées.

Faut-il encore que vous, consommateurs, revendeurs, distributeurs, prescripteurs, amateurs, jouiez le jeu! Sans votre soutien, sans votre ouverture d’esprit, sans votre quête du plaisir gustatif, nous ne pourrons accomplir notre volonté du quotidien, fantasme de chaque matin quand on entame notre journée de travail, plaisir de vivre… Car la cohabitation avec le monde normalisé, industriel reste fragile. L’administration ne se montre pas toujours très compréhensive de notre philosophie et peine, à travers sa grille de lecture, à comprendre nos choix et nos valeurs.

Je suis serein. Une prise de conscience énorme se dessine dans notre société moderne. Et la cohabitation entre produits industriels et artisanaux demeure possible. C’est une forme de biodiversité moderne qui semblent concentrer encore de belles ressources !
Je vous souhaite de bonnes dégustations et d’intenses moments d’émotion, autour d’une belle tablée garnie d’amis sincères, de bonnes victuailles et d’un bon verre de vin .

Salutations vigneronnes,

Christian BINNER